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La Famille de Darius aux pieds d'alexandre, dit la Tente de Darius

La Famille de Darius aux pieds d'alexandre, dit la Tente de Darius

Date de création : vers 1660

Date représentée :

H. : 298 cm

L. : 453 cm

huile sur toile représentant les reines de Perse aux pieds d'alexandre le Grand, peu après la victoire à Issus (333) ; accompagné de son fidèle Héphestion, il rend visite à la reine (avec son fils Ochus dans les bras)

Domaine : Peintures

© RMN - Grand Palais (château de Versailles) / Gérard Blot

lien vers l'image

04-510998 / MV 6165

Alexandre dans la tente de Darius

Date de publication : Février 2013

Auteur : Joël CORNETTE

Ce tableau a été peint, vraisemblablement, à la fin de l’année 1660. Charles Le Brun logeait à Fontainebleau, à proximité du roi, et Louis XIV « venait le voir dans des moments inopinés lorsqu’il tenait le pinceau à la main », comme le précise Claude Nivelon, né aux alentours de 1630, disciple et premier biographe de Charles Le Brun.

Le tableau représente la mère de Darius se jetant aux pieds du roi de Macédoine, le vainqueur de son fils à la bataille d’Issos (– 333), afin d’implorer la clémence pour sa famille prisonnière.

La scène s’inspire d’une séquence des Vies des hommes illustres de Plutarque, d’un passage de Quinte Curce, mais aussi de pièces de théâtre contemporaines centrées sur le héros macédonien : Claude Boyer en 1648 (Porus ou la Générosité d’Alexandre), Morel en 1658 (Timoclée ou la Générosité d’Alexandre, tragi-comédie), insistaient déjà sur la grandeur d’âme du vainqueur de Darius.

Ce grand tableau propose, par l’image, un art poétique fondé sur la même quête que la littérature : la scène de la tente de Darius entretient en effet une étroite correspondance avec les règles littéraires énoncées au même moment dans les salons parisiens à la mode.

Il s’agissait d’illustrer les exercices des milieux précieux. Ces derniers s’étaient donné pour objet l’analyse des multiples figures de l’affectivité en même temps que la bienséance convenable aux élites policées de la cour et de la ville, à l’imitation de la carte du Tendre dressée par Madeleine de Scudéry (les dix volumes de sa Clélie parurent entre 1654 et 1660) ou des observations du médecin Marin Cureau de la Chambre sur les « tempéraments », les complexions « froides ou humides » (son Art de connaître les hommes fut publié en 1659). À la fin des années 1660, bien des conférences prononcées par Charles Le Brun à l’Académie royale de peinture et de sculpture portèrent sur l’art d’exprimer les passions par la peinture.

Pour comprendre ce tableau, il faut aussi le rapprocher du théâtre, car Charles Le Brun a particulièrement travaillé l’attitude et le corps d’Alexandre/Louis XIV : il le représente « dans le moment où il aborde ces Dames, ce qui n’était pas l’usage des Grecs » (Félibien). Surtout, l’épisode donne de l’État une figuration héroïque, voisine des sujets mis en intrigue par Corneille ou par Racine. Ainsi, le geste d’Alexandre qui pardonne une méprise (la vengeance, c’est-à-dire la soumission aux passions, serait indigne de celui qui incarne la souveraineté) est conçu pour illustrer toute une gamme de sentiments : la compassion, la clémence, l’amitié, la civilité. Nous ne sommes guère éloignés ici de « la mise en équation des passions sur une scène » (Michel Prigent). Comme l’écrit André Félibien, historiographe du roi, « en se surmontant soy-mesme, il surmonta, non pas des peuples barbares, mais le vainqueur de toutes les nations ». De même, les attitudes des femmes, qui autorisent un nouveau rapprochement avec les héroïnes cornéliennes, expriment tout à la fois l’imploration et l’admiration face au héros qui cristallise en sa seule personne la toute-puissance de l’État.

Commentée avec abondance par Félibien, cette œuvre a valeur de manifeste pour ce que certains, à partir du XIXe siècle, ont appelé le « Classicisme ». Pendant deux siècles, peintres, dessinateurs et graveurs se succédèrent pour l’étudier.

Ce tableau n’est pas seulement en correspondance avec une œuvre littéraire, car les événements politiques de l’année 1661 en ont modifié la lecture : en effet, dès le lendemain du décès du cardinal Mazarin le 9 mars, le monarque annonça sa décision de gouverner seul. Louis XIV s’en est expliqué dans ses Mémoires, écrivant (ou faisant écrire) : « Il n’était pas dans mon intérêt, de prendre des sujets d’une qualité plus éminente. Il fallait, avant toutes choses, établir ma propre réputation, et faire connaître au public, par le rang même que je prenais, que mon intention n’était pas de partager mon autorité avec eux. » Dans ce contexte de prise effective de pouvoir et de redistribution des « rangs », le travail du peintre revêtait une signification particulière : n’était-il pas la figure emblématique de l’allégeance que tous, en particulier les ex-frondeurs, devaient désormais accorder à un jeune roi affirmant avec éclat sa pleine et entière souveraineté ?

Pièce à joindre à l’épais dossier des « deux corps du roi », ce tableau participe au processus de « civilisation des mœurs » qui allait bientôt transformer le gentilhomme malcontent devenu courtisan en un être en quête perpétuelle d’une maîtrise de soi, imitateur d'un souverain qui affectait « la gravité d’un roi de théâtre » suivant l’expression de Primi Visconti : quelques années plus tard, au début des années 1670, décrivant les manières de cour – « la plus belle comédie du monde » –, cet observateur italien de Versailles notait qu’en public, le roi était « plein de gravité et très différent de ce qu’il est en son particulier. Me trouvant dans sa chambre avec d’autres courtisans, j’ai remarqué plusieurs fois que, si la porte vient par hasard à être ouverte, ou s’il sort, il compose aussitôt une attitude et prend une autre expression de figure, comme s’il devait paraître sur un théâtre ; en somme, il sait bien faire le roi en tout […] Depuis qu’il règne, on ne l’a jamais vu en colère, et il n’a pas juré une seule fois ». Cette discipline appliquée à soi-même s’inscrivait dans un rapport de forces qui faisait désormais du monarque l’unique régulateur des tensions et des « passions ». Dans ses Mémoires, Louis XIV se présente lui-même à de nombreuses reprises comme un souverain de raison, un roi néostoïcien, maître de ses gestes, de ses sentiments, de ses actions : « Pourvu que la suite de mes actions fît connaître que, pour ne rendre raison à personne, je ne me gouvernais pas moins par la raison. »

Charles Le Brun qui, avec Le Nôtre et Mansart, appartenait aux artistes appelés par Nicolas Fouquet à Vaux, devint le peintre favori du souverain après la réalisation de ce tableau.

CORNETTE Joël, Chronique du règne de Louis XIV, Paris, Sedes, 1997.

NIVELON Claude, Vie de Charles Le Brun et description détaillée de ses ouvrages, édition critique et introduction par Lorenzo Pericolo, Genève, Droz, 2004.

FÉLIBIEN André, Les reines des Perses aux pieds d’Alexandre, peinture du cabinet du Roy, Paris, chez Pierre Le Petit, 1663.

PRIGENT Michel, Le héros et l’État dans la tragédie de Pierre Corneille, Paris, PUF, 1986. 

Joël CORNETTE, « Alexandre dans la tente de Darius », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 28/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/alexandre-tente-darius

Anonyme (non vérifié)

L'article de M. Cojannot-Le Blanc, « « Il avoit fort dans le cœur son Alexandre... » L'imaginaire du jeune Louis XIV d'après La Mesnardière et la peinture des Reines de Perse par Le Brun », Dix-septième siècle, 2011/2 (n° 251), p. 371-395. DOI : 10.3917/dss.112.0371. URL : https://www.cairn.info/revue-dix-septieme-siecle-2011-2-page-371.htm , montre bien l'influence de la lecture de Quinte-Curce par le roi lui-même sur ce tableau, ainsi que l'importance des discussions entre le jeune roi et l'artiste.

sam 31/08/2019 - 09:37 Permalien

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