Aller au contenu principal
Affiche Fête romaine Orange

Affiche Fête romaine Orange

Date représentée : 1869

Domaine : Affiches

Droits réservés

Les Chorégies d’Orange

Date de publication : Juillet 2017

Auteur : Julie VERLAINE

L’usage moderne d’un monument antique

L’affiche annonçant la « Fête romaine » du 21 août 1869, d’une sobriété délibérée, contraste avec le grandiose projet de ses deux concepteurs, le dramaturge Antony-Réal (pseudonyme de Fernand Michel) et Félix Ripert : faire retrouver au théâtre antique d’Orange, monument historique protégé, sa fonction première et y accueillir un grand spectacle. Pour annoncer ce dernier, et encourager le public à « sortir au spectacle », ce qu’il fait de plus en plus sous le Second Empire, l’affiche est utilisée et devient illustrée, signe que la mécanisation des techniques de reproduction et d’illustration progresse.

Dans la partie supérieure, un dessin reproduit la façade extérieure du mur de scène – qualifiée par Louis XIV de « la plus belle muraille de mon royaume ». De l’époque où Orange était une colonie romaine de la Narbonnaise, ne subsistent en effet au milieu du XIXe siècle que des ruines peu visibles dans l’espace urbain, à l’exception du théâtre dont le mur de scène ou « grand mur » est resté presque intact. Après le Ve siècle, ce lieu est devenu une forteresse, puis une prison (jusque 1856) ; quelques particuliers y ont également aménagé leur habitation. À la Restauration, émerge l’idée de dégager le lieu de toutes ces constructions hétéroclites : suite au rapport de l’architecte Auguste Caristie (1834), puis la visite de l’inspecteur des monuments historiques Prosper Mérimée, des travaux de déblaiement et de restauration sont réalisés. Le mur de scène retrouve son aspect imposant, et les gradins, dont ne subsistaient que les trois premiers rangs, sont reconstitués.

Fête romaine, festival félibrige

L’affiche gomme les dimensions massives (103 mètres de longueur, 37 mètres de hauteur) de la façade par un effet de perspective qui cherche à affiner le monument et à mettre en valeur les arcades restaurées par le jeune Service des monuments historiques. L’intérieur du théâtre, avec le proscenium (scène) et la cavea (gradins) n’est pas visible, alors qu’il est au cœur de l’événement : en 1869, les gradins de pierre n’étant pas encore reconstitués, 8 000 spectateurs prennent place sur des échafaudages en bois pour profiter de l’acoustique exceptionnelle, mais aussi de l’éclairage électrique (grande nouveauté pour l’époque, la scène est éclairée par des lampes à arc prêtées par l’Opéra de Paris), mentionné sur l’affiche annonçant cette « fête romaine ».

Par ce nom, les deux organisateurs locaux veulent rendre hommage aux vétérans de la deuxième légion des Gaules qui ont fondé la ville d’Orange en 44 av.JC et y ont construit non seulement un théâtre mais aussi un arc de triomphe, un capitole et un gymnase. Il s’agit aussi de renouer avec l’esprit des spectacles de la Rome d’Auguste, tels qu’on les imagine sous le Second Empire : des moments exceptionnels d’émotion, de communion et d’exaltation intenses, individuelles et collectives. La programmation est pensée en ce sens, avec trois pièces fort distinctes, mais toutes spectaculaires : d’abord l’opéra d’inspiration biblique Joseph (également connu sous le nom de Joseph en Égypte) d’Étienne-Nicolas Méhul créé en 1807, très orientalisant, puis l’acte final (appelé sur l’affiche « Scène des Tombeaux ») de Roméo et Juliette, la tragédie de Shakespeare mise en musique en 1825 par l’Italien Nicola Vaccai ; afin une création inédite, la cantate des Triomphateurs d’Antony-Réal – l’un des organisateurs de l’événement.

Cette dernière pièce indique combien l’initiative s’ancre dans le développement du mouvement félibrige. Le fondateur du mouvement en 1862, Frédéric Mistral, est d’ailleurs présent dans l’hémicycle et ovationné par le public après ce vers des Trimphateurs « Troubadours du Midi, triomphez par Mistral ». Plusieurs félibres, à commencer par Antony-Réal, entendent ainsi contribuer avec éclat à la sauvegarde et la promotion de la langue d’oc, de la culture et de l’identité occitanes. Le goût des ruines, important depuis l’époque romantique, s’ajoute à la recherche du spectaculaire pour expliquer le succès de l’événement.

La naissance des Chorégies d’Orange

L’affiche de 1869 permet de rendre compte des difficultés qui se posent aux organisateurs : faire venir les meilleurs chanteurs se révèle impossible, leurs agents refusant une performance en extérieur, dans le vent. Les participants, quoique peu connus, sont nombreux et coûtent cher, de même que la location d’équipements. Le bilan financier de la Fête est désastreux : un déficit de 6 660 francs-or, couvert par le conseil municipal. Le succès d’estime, en revanche, est grand.

La fête du 21 août 1869 est la première d’une longue série, d’abord irrégulière (la guerre de 1870 empêche la tenue d’une nouvelle édition avant 1874, puis 1886) puis institutionnalisée à partir de 1888 avec la nomination de Paul Mariéton comme directeur de la Chorégie, aspirant à devenir selon ses propos « le Bayreuth du grand art dramatique français ». Des subventions de l’État permettent l’organisation des fêtes, la restauration des gradins, et l’internationalisation à partir de 1934. En 1971, les « Nouvelles Chorégies » sont fondées par le maire d’Orange nouvellement élu Jacques Bérard et le directeur national de la Musique, Marcel Landowski : ils confient à Jacques Bourgeois et Jean Darnel la mission de faire des Chorégies un festival ouvert à la création contemporaine et au rayonnement international.

Eric Fournier, Les Ruines de Paris, Imago, Paris, 2007.

Agis RIGORD, Le théâtre antique d’Orange, notice historique et archéologique, s. n., Avignon, 1960.

André SEGOND, Les Chorégies d’Orange, de 1869 à nos jours, Autres temps, Gémenos, 2012.

Jean-Claude YON (dir.), Les spectacles sous le Second Empire, Armand Colin, Paris, 2010.

Julie VERLAINE, « Les Chorégies d’Orange », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 23/04/2024. URL : histoire-image.org/etudes/choregies-orange

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Découvrez nos études

Wagner et la France

Wagner et la France

Lorsque Richard Wagner meurt en pleine gloire en 1883, son œuvre rencontrait encore en France une vive hostilité. Dès les années 1850, Wagner…

Origines du carnaval à la Jamaïque

Origines du carnaval à la Jamaïque

Isaac Mendes Belisario (1795-1849), peintre et graveur d’origine italienne né à Londres, installé en 1830 à Kingston en Jamaïque, alors colonie…

Origines du carnaval à la Jamaïque
Origines du carnaval à la Jamaïque
Origines du carnaval à la Jamaïque
Origines du carnaval à la Jamaïque
<em>L’Internationale</em>, hymne révolutionnaire

L’Internationale, hymne révolutionnaire

La figuration d’un hymne emblématique

C’est en 1887 qu’Eugène Pottier édite le poème L’Internationale. Le guesdiste Gustave Delory demande dès l’…

La Guerre en musique

La Guerre en musique

La guerre change de disque

Début juillet 1917, comme le montre un cliché pris sur le port de Saint-Nazaire, la Grande Guerre est en passe de…

La Guerre en musique
La Guerre en musique
L'orchestre de l'Opéra

L'orchestre de l'Opéra

Lorsqu’il peignit ce tableau en 1870, Degas connaissait bien l'Opéra. Il avait rencontré des membres de l'orchestre à des soirées musicales chez…

L’Opéra de Charles Garnier

L’Opéra de Charles Garnier

La construction du nouvel Opéra de Paris

Décidée en 1858 pour remédier à la vétusté et à l’incommodité de la salle de la rue Le Pelletier, la…

L’Opéra de Charles Garnier
L’Opéra de Charles Garnier
Chopin, musicien romantique

Chopin, musicien romantique

En 1834, dans son atelier du 15, quai Voltaire à Paris, Delacroix fait de George Sand, juste après sa rupture avec Alfred de Musset, un portrait…

La mode du rossinisme à Paris sous la Restauration

La mode du rossinisme à Paris sous la Restauration

Lorsque Rossini arrive à Paris en novembre 1823, ce n’est pas un inconnu car douze de ses œuvres ont déjà été montées au Théâtre-Italien, dont quatre…
La mode du rossinisme à Paris sous la Restauration
La mode du rossinisme à Paris sous la Restauration
Anton von Werner entre objectivité et patriotisme

Anton von Werner entre objectivité et patriotisme

Le témoignage d’un peintre allemand sur la France pendant la guerre de 1870

La guerre franco-prussienne de 1870-1871 a donné lieu à de très…

Un retour tambour battant

Un retour tambour battant

Jeanne, un patrimoine rémois

Le 17 juillet 1921, c’est jour de fête à Reims : plus de trois ans après son départ pour le Panthéon à Paris (6 mai…