Aller au contenu principal
Au Port de Vénasque : Espagnols allant travailler en France

Au Port de Vénasque : Espagnols allant travailler en France

Date de création : 31 juillet 1907

Date représentée : 31 juillet 1907

Négatif verre au gélatino-bromure d'argent

Domaine : Photographies

© Ministère de la Culture - Médiathèque du patrimoine et de la photographie, Dist. GrandPalaisRmn / Paul Lancrenon

lien vers l'image

LCR01904 - 08-535682

L’immigration des travailleurs en France

Date de publication : Mars 2016

Auteur : Alexandre SUMPF

L’immigration des travailleurs en France de 1850 à 1914

Marie-Paul Lancrenon (1857-1922), militaire de carrière, profite de ses missions pour rédiger des carnets de voyage et d’excursion, constitués de textes et de photographies qu’il prend en « amateur ». On lui doit notamment Trois mille lieues à la pagaie : de la Seine à la Volga, paru en 1898, et Impressions d’hiver dans les Alpes : de la mer bleue au Mont-Blanc, paru en 1906. C’est dans ce cadre que, fort de ses talents de randonneur et de grimpeur, il saisit sur le vif des migrants espagnols alors qu’ils franchissent le Port de Vénasque, col des Pyrénées situé à 2 444 m d’altitude, à la frontière franco-espagnole, près de Luchon (Haute-Garonne).

Portrait de migrants espagnols

Le cliché représente six migrants espagnols qui, en ce 31 juillet 1907, ont momentanément interrompu leur marche et posent pour le photographe, leurs baluchons et leurs bâtons au sol. Arrêtés en pleine pente sur un « sentier » rocailleux, ils se sont placés sur un rang, de manière à ce que chacun soit visible. Le groupe compte cinq hommes et un enfant derrière lequel apparaît une mule ou un mulet avec son bât. Comme l’un des hommes, le jeune garçon est vêtu d’une longue chemise « paysanne », tandis que les autres portent des vêtements typiques des régions pyrénéennes du nord de l’Espagne de même que leurs bérets. Tous fixent l’objectif d’un air sérieux et assez digne, même si l’enfant semble aussi quelque peu intrigué.

Les vêtements et les visages montrent des travailleurs démunis, obligés de venir chercher un emploi en France. La « simplicité » des bagages va dans ce sens, autant qu’elle accrédite, à son tour, l’idée que ces hommes sont venus pour les travaux agricoles de l’été. Malgré tout et au-delà de la pose de circonstance, la dignité de ces hommes qui se tiennent droits face à l’objectif indique que ces prolétaires sont fiers de vivre de leur travail.

De fiers travailleurs

De 1851 à 1881, la population immigrée présente en France augmente rapidement, passant d’environ quatre cents mille à près d’un million de personnes. De 1881 à 1911, la croissance est nettement plus mesurée (150 000 étrangers supplémentaires), même si cela s’explique aussi par une politique de naturalisations plus souple. Très majoritairement, il s’agit d’une immigration de travailleurs étrangers et pauvres. En effet, l’essor industriel que connaît le pays dès le second Empire ainsi que le développement d’une agriculture de marché plus intensive, lui-même lié au phénomène croissant d’exode rural, provoquent en France une forte demande de main-d’œuvre peu qualifiée. Temporaire, saisonnière ou définitive, l’installation des nouveaux venus est donc étroitement liée au marché du travail. De 1850 à 1914, cette immigration reste aussi largement « frontalière », les migrants provenant des pays voisins et s’installant, en fonction des possibilités d’embauche, dans les régions limitrophes. Ainsi, même si Paris attire aussi les travailleurs étrangers, on recense de nombreux Belges dans le Nord et le Nord-Est (ouvriers dans les usines de textile, puis de charbon et d’industrie lourde), des Italiens dans le Sud-Est et des Espagnols dans le Sud-Ouest (ouvriers agricoles, bâtiment, manutention et transports).

Marie-Paul Lancrenon semble avoir rencontré ces hommes alors qu’il arpentait et photographiait le col pyrénéen, comme il l’avait fait dans les Alpes quelques mois auparavant. S’il leur demande de poser, ce n’est ni pour révéler un fait –les migrations de ces travailleurs venus d’Espagne sont un phénomène déjà largement connu à l’époque – ni pour faire passer un quelconque message, mais plutôt pour présenter objectivement certaines réalités du processus migratoire au début du siècle.

D’une part, l’affluence de migrants espagnols dans le sud-ouest. Ils sont 30 000 en 1850 et 80 000 en 1886 (chiffre à peu près stable jusqu’en 1914) à travailler et vivre dans les départements frontaliers ainsi qu’en Gironde, en Dordogne, dans le Lot, le Lot-et-Garonne, le Gers, le Tarn et le Tarn-et-Garonne. Dans ce grand Sud-Ouest, ils représentent plus de 5 % de la population en 1906, contre à peine 1 % en 1890. Ils sont employés dans l’industrie, le transport, la pêche et le bâtiment, et comme ouvriers agricoles. L’époque de l’année (juillet) peut aussi laisser penser qu’il s’agit là de migrants saisonniers, venus comme beaucoup d’autres pour la cueillette ou les vendanges. D’autre part, le fait que les nouveaux arrivants, encore plus lorsqu’il s’agit de migrations temporaires, sont presque exclusivement des hommes. Si en 1907, on compte 45 000 hommes et 35 000 femmes espagnols (donc un bon taux « d’accompagnement » qui correspond au fait que ce type d’immigration est assez ancien), ce n’est qu’une fois installés qu’ils font venir femmes et enfants, ce qui n’est pas le cas des personnages de la photographie. La présence d’un enfant, assez rare (seuls 7 % des nouveaux migrants sont si jeunes), pourrait confirmer l’hypothèse d’une migration saisonnière.

HERMET Guy, Les Espagnols en France : immigration et culture, Paris, Les Éditions ouvrières, coll. « L’évolution de la vie sociale », 1967.

HERMET Guy, MARQUET Jacqueline, Émigrants saisonniers espagnols en France : enquête par sondage dans le département de l’Oise en 1959, Paris, Fondation nationale des sciences politiques, Centre d’étude des relations internationales, 1961.

NOIRIEL Gérard, Les ouvriers dans la société française (XIXe-XXe siècle), Paris, Le Seuil, coll. « Points : histoire » (no 88), 1986.

NOIRIEL Gérard, Le creuset français : histoire de l’immigration (XIXe-XXe siècle), Paris, Le Seuil, coll. « L’univers historique » (no 55), 1988.

Alexandre SUMPF, « L’immigration des travailleurs en France », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 18/04/2024. URL : histoire-image.org/etudes/immigration-travailleurs-espagnols-france

Anonyme (non vérifié)

Les chiffres avancés par M. Sumpf au sujet des Espagnols en France (métropolitaine) à la veille de la 1GM sont totalement erronés. Ceux-ci sont déjà près de 110 000 (sous-estimé) en 1911 sans oublier les Espagnols d'Afrique du nord. Leur chiffre est en augmentation encore jusqu'à la guerre qui interrompt les recensements. Le mythe de l'essor décisif de l'immigration espagnole à partir seulement de la guerre de 1914-1918 fonctionne encore, hélas ! M. Sumpf n'est pas connu pour être un spécialiste des relations franco-espagnoles. Sa connaissance de la bibliographie adéquate est manifestement limitée. Elle date (années 1960 !). Il n'est pas seul dans ce cas.
Jean-Marc DELAUNAY Professeur émérite d'Histoire contemporaine Université Paris-3 Sorbonne Nouvelle

jeu 02/04/2015 - 15:11 Permalien

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Découvrez nos études

Les Travailleurs de la mine : autour de l'abattage

Les Travailleurs de la mine : autour de l'abattage

Les mineurs au tournant du XXe siècle : une identité en construction

Avec près de 300 000 travailleurs au début du XXe

Les Travailleurs de la mine : autour de l'abattage
Les Travailleurs de la mine : autour de l'abattage
Les Travailleurs de la mine : autour de l'abattage
Les Intérieurs parisiens selon Eugène Atget

Les Intérieurs parisiens selon Eugène Atget

Un album documentaire à visée professionnelle

En 1910, Atget réalise un album de soixante photographies intitulé Intérieurs parisiens, début du…

Les Intérieurs parisiens selon Eugène Atget
Les Intérieurs parisiens selon Eugène Atget
Les Intérieurs parisiens selon Eugène Atget
Les Intérieurs parisiens selon Eugène Atget
Les stations du prolétaire

Les stations du prolétaire

Prolétaires et révolutions avant 1848

« La saisie de l’huissier » et « La mort de l’ouvrier » sont des dessins appartenant à la série Les stations…

Les stations du prolétaire
Les stations du prolétaire
La roulette allemande : la « Relève » de 1942

La roulette allemande : la « Relève » de 1942

Rouler sa bosse en Allemagne

Quand les deux affiches commanditées par les Ateliers de Mécanique de la Seine apparaissent sur les murs de Puteaux,…

La roulette allemande : la « Relève » de 1942
La roulette allemande : la « Relève » de 1942
La révolte des canuts

La révolte des canuts

Le 20 novembre 1831 l’association mutuelle des chefs d’atelier de soierie décide la grève générale pour obliger les fabricants à respecter le…

La révolte des canuts
La révolte des canuts
Les ouvriers belges vus par Léon Frédéric

Les ouvriers belges vus par Léon Frédéric

Etat indépendant à partir de 1830, la Belgique est l’un des pays d’Europe occidentale où l’industrialisation a été la plus vigoureuse. C’est aussi…

Grève à Saint-Ouen

Grève à Saint-Ouen

Ville située dans la banlieue industrielle du nord de Paris, Saint-Ouen compte au début du XXe siècle de nombreux ateliers métallurgiques et des…
La Révolte des tisserands

La Révolte des tisserands

Tensions sociales et création du SPD en Allemagne

L’Allemagne de la fin du XIXe siècle est marquée par un climat social et politique…

La Révolte des tisserands
La Révolte des tisserands
Aspects populaires du cubisme

Aspects populaires du cubisme

L’empathie pour le populaire

La bohème montmartroise était essentiellement composée de jeunes gens en rupture avec le milieu bourgeois. Vivant…

Aspects populaires du cubisme
Aspects populaires du cubisme
Aspects populaires du cubisme
Aspects populaires du cubisme
1<sup>er</sup> mai 1891 : la fusillade de Fourmies

1er mai 1891 : la fusillade de Fourmies

La fusillade de Fourmies

Le 1er mai 1891, pour la deuxième fois, les organisations ouvrières du monde entier se préparent à agir par…

1<sup>er</sup> mai 1891 : la fusillade de Fourmies
1<sup>er</sup> mai 1891 : la fusillade de Fourmies
1<sup>er</sup> mai 1891 : la fusillade de Fourmies
1<sup>er</sup> mai 1891 : la fusillade de Fourmies